Les circuits de distribution des produits alimentaires organisent l’accès à l’alimentation du producteur au consommateur.Dans le constat de leur fonctionnement que dresse le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son avis du 27 mai 2016 relatif aux Circuits de distribution des produits alimentaires, un paragraphe est consacré à la situation dans les Outre mer qui contraste fortement avec la réalité métropolitaine.
La vie chère dans les DOM et les préconisations pour y remédier
Ainsi peut-on y lire que, pour de nombreux produits alimentaires, notamment ceux qui doivent être acheminés de la métropole ou importés, leur cherté a été à l’origine des mouvements sociaux qu’ont connus, entre 2009 et 2012, la plupart des collectivités ultramarines. En effet, rappelle les auteurs de ce rapport, l’étude réalisée en 2010 par l’INSEE a montré que le prix du panier représentatif de la consommation alimentaire d’Outre-mer serait de 9 à 22 % plus cher qu’en métropole (Des écarts importants étant observés entre les collectivités ultra-marines elles-mêmes).
Face à cette situation, est-il précisé, la loi Lurel du 20 novembre 2012 a mis en place deux instruments : des Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et un dispositif dit de « Bouclier qualité-prix » (BQP), outil de régulation des prix, fondé sur des négociations annuelles entre l’État et les partenaires économiques, les distributeurs et leurs fournisseurs. Les informations disponibles indiquent que ce BQP a permis d’atteindre au moins partiellement les résultats attendus. Ainsi, selon le ministère de l’Outre-mer, le prix global du panier a connu en 2014, une baisse comprise entre 10 et 15 % dans les DOM. De plus, une attention particulière a été portée sur les productions locales afin d’aider les filières concernées à se structurer.
C’est pourquoi, afin de poursuivre la démarche positive ainsi enclenchée, le CESE juge nécessaire de faire en sorte de poursuivre et de pérenniser le dispositif du BQP et d’attribuer aux OPMR des moyens financiers adaptés aux missions qui leur sont confiées.
Au-delà de ces rappels et préconisations consensuels, qui rejoignent ceux déjà formulés dans les récents rapports Lurel sur l’égalité réelle et Bareigts/fasquelle sur l’évaluation de la loi de régulation économique dans les Outre-mer, le constat le plus frappant est sans aucun doute le décalage avec la métropole où le modèle de consommation de masse est aujourd’hui en crise et chacun des acteurs perçoit les limites d’un système marqué par la guerre des prix, qui déséquilibre la chaîne de valeur et fragilise tous les acteurs.
Les conséquences négatives de la guerre des prix en métropole
Selon le CESE, cette guerre sans merci a eu pour effet une baisse des prix estimée à 2,5 % depuis 2013 qui aurait été plus que compensée pour les transformateurs par une augmentation conjointe
de la consommation et de la valeur du « panier moyen ». Cette baisse des prix concerne surtout les marques nationales et ne s’est traduite que par un gain d’environ 3 euros par mois pour chaque foyer, selon un rapport de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI). La plupart des acteurs juge délétère la situation à laquelle on est ainsi parvenu. Outre que l’objectif permanent de baisse des prix exacerbe les tensions lors des négociations commerciales et génère des pratiques condamnables, les diminutions de prix qui en résultent sont souvent compensées pour les transformateurs par l’augmentation des volumes de ventes ou par une modification des caractéristiques des produits (composition, grammage…). Cette baisse de prix des produits de marque nationale réduit l’écart avec ceux des produits de marque de distributeur (MDD) qui voient par conséquent leur attractivité et donc leurs ventes chuter. Or, ce sont sur ces MDD que les marges les plus importantes sont en principe réalisées. Les marques des PME souffrent également, d’autant que leurs prix sont généralement supérieurs, donc plus fortement concurrencés par les marques nationales, et que les distributeurs y font une marge supérieure. Globalement, la baisse des prix ne profite donc ni aux marques nationales, contraintes de baisser leurs marges, ni aux distributeurs, qui voient diminuer leurs ventes de produits de MDD les plus rémunérateurs, ni aux marques de PME soumises à une concurrence plus forte. De plus, cette baisse des prix ne répond pas nécessairement aux attentes des consommateurs qui sont de plus en plus attentifs à la qualité des produits.
Ces réductions de marges, précise le CESE, ont nécessairement des impacts négatifs sur les entreprises de transformation concernées, en premier lieu sur les conditions d’emploi de leurs salariés, ainsi que sur leurs fournisseurs, c’est-à-dire les producteurs. Les conséquences sont désastreuses pour les producteurs qui se voient soumis à la pression directe, ou indirecte s’il y a transformation, des distributeurs. Cette situation, ajoute-t-il, est destructrice de valeurs pour l’ensemble de la filière. Dans les entreprises de la transformation, la guerre des prix continue à réduire la part de recherche et développement. Au plan social, cette guerre des prix accroît la pression pour augmenter la productivité des salariés de tous les secteurs considérés, avec des impacts non négligeables sur les conditions de travail, les salaires et l’emploi. La logistique est également affectée par les réorganisations successives des plates-formes, aux conséquences sociales importantes. La dégradation des conditions de travail et le renforcement du temps partiel dans la distribution s’expliquent également par l’objectif de maintien des marges. Le dernier rapport de l’observatoire des prix et des marges constate que la déflation dont a bénéficié le consommateur s’est traduite par une diminution globale des marges, devenues négatives pour les producteurs et limitées entre 1 et 2 % pour les autres acteurs (même s’il convient de souligner qu’il s’avère difficile de mesurer de manière précise et fiable la réalité des marges opérées par certains opérateurs).
La guerre des prix apparait donc comme un cercle vicieux qui détruit de la valeur, des emplois et affaiblit tous les acteurs. Un tel système a, de plus, pour conséquence de réduire chez les consommateurs la conscience de la véritable valeur de la nourriture. En effet, si les prix à la consommation des produits alimentaires ne correspondent pas au véritable prix de revient, c’est aussi parce qu’ils n’intègrent ni certains coûts économiques, sociaux ou environnementaux, pris en charge par la collectivité (dépollution des eaux par exemple) ni certains soutiens publics à l’agriculture (aides PAC).
Quels enseignements pour notre territoire ?
Si la lutte contre la vie chère demeure pour La Réunion une préoccupation majeure, les conséquences dramatiques de la guerre des prix en métropole doivent donc nous inciter à chercher le meilleur équilibre entre une politique des prix les plus bas possibles et la promotion d’une alimentation de qualité, saine, équilibrée et privilégiant les produits locaux dans le double intérêt des consommateurs et du développement économique du territoire. Telle est bien l’ambition du BQP qu’il convient, comme le souligne les auteurs de cet avis, sans aucun doute de conforter.
Partager cet article !